Newwwar. It’s Just a Game?, exposition annuelle au Centre d’Art Bandjoun Station fondé par Barthélémy Toguo au Cameroun.
Du 17 novembre 2017 au 30 juin 2018.
Léa Belooussovitch, Matthieu Boucherit, Thibault Brunet, Nidhal Chamekh, Wanko Cubart, Alexandre d’Huy, Harun Farocki, Omer Fast, Mounir Fatmi, Thierry Fournier, Hortense Gauthier, Alain Josseau, Annick Kamgang, Léa le Bricomte, Émeric Lhuisset, Gastineau Massamba, Wilfried Mbida, Alioum Moussa, Massinissa Selmani, Victoire Thierrée, Barthélémy Toguo, Aurélien Vret, Charlotte Yonga.
Avec une performance de Christian Etongo et Gabriella Badjeck.
Newwwar. It’s just a Game aborde les nouvelles manières de faire la guerre : une guerre à distance, télécommandée, jouée, fictionnalisée, mise en scène. La configuration typique des affrontements tend vers une forme de guerre dite « asymétrique » où d’un côté, se déploie un arsenal militaire ultra sophistiqué, brassant des millions de dollars ; quand, d’un autre côté, les plus démunis recourent à des pratiques alternatives, voire artisanales, mais dont les opérations sont toutes aussi sidérantes. Ainsi s’affrontent un monde de technologies – quasi virtuelles – équipé de drones, d’engins de mort automatisés avec données collectées et traitées en temps réel qui éloignent et protègent le corps des soldats, contre un monde, qualifié d’archaïque aux yeux des occidentaux, où prévaut des stratégies kamikazes, des attentats-suicides, des attaques à la bombe sur des zones de passages ou de forte fréquentation. D’un côté, l’on tente de se prémunir des « dégâts collatéraux », de l’autre on vise, au contraire, à faire le plus de dommage collatéral, en ciblant les civils et les innocents sans logique ni stratégies apparentes.
Or, dans l’un comme dans l’autre camp, on évite soigneusement le face à face, en se tenant au maximum à distance des assaillants : on enrôle des volontaires au martyr en les équipant de ceintures explosives ; on pilote des drones armés en véhiculant le discours de la « guerre propre », à l’ombre de bureaux climatisés. De sorte que la ligne de front s’est déplacée, elle se situe désormais à un niveau plus abstrait, souvent spectaculaire, toujours médiatisé. En l’absence de front localisé où combattent les belligérants, la guerre se mène « en surface », au sein de la population, abolissant les frontières habituelles entre civils et militaires.
Newwwar. It’s Just a Game est une guerre de surfaces, où l’on joue « caché », par personnes interposées. Une guerre renvoyant à des images d’images, au musée des horreurs du passé se mêlant aux fantasmes des blockbusters. Newwwar est une guerre de l’ère post-internet, où le spectacle flirte avec l’hystérie collective, où la pulsion scopique se pare des oripeaux du sublime, où la guerre se poursuit sur le territoire des représentations, lorsqu’elle pénètre les croyances, forge ses armes dans la peur et la manipulation des affects.
Les oeuvres explorent les notions de GAME, de business et d’alliances lesquels balisent des arrière-plans idéologiques (Mounir Fatmi, Annick Kamgang, Léa le Bricomte, Gastineau Massamba, Victoire Thierrée, Barthélémy Toguo), mais aussi de gamification. Tandis que les jeux vidéo de guerre développent le réalisme et s’inspirent de conflits contemporains, dans une esthétique souvent proche des superproductions hollywoodiennes, les armées nouent des contrats avec ces mêmes compagnies afin d’entrainer leurs soldats sur des serious game (Thibault Brunet, Alexandre d’Huy, Harun Farocki, Alain Josseau). D’autres artistes proposent, à l’inverse, de détourner les appareillages et dispositifs de visibilité de la guerre au profit du PLAY (Matthieu Boucherit, Hortense Gauthier, Wilfried Mbida, Aurélien Vret). Car le jeu est aussi une manière de prendre de la distance par rapport à la réalité, c’est faire semblant, être dans l’imaginaire et la réappropriation. Du Game au Play, des règles bien établies menant à la victoire au libre jeu de l’enfant, créatif et initiatique, les artistes sondent et prolongent enfin les décalages sensibles entre ces deux termes vers des échappées poétiques (Léa Belooussovitch, Nidhal Chamekh, Massinissa Selmani) des REALFICTIONS (Wanko Cubart, Omer Fast, Thierry Fournier, Émeric Lhuisset, Alioum Moussa, Charlotte Yonga).
Oscillant entre le réel et le virtuel, le jeu et la guerre, le documentaire et la fiction, les différentes propositions des artistes laissent aux spectateurs des espaces vacants. S’il est question de distance, voire de distanciation, le lieu du jeu se situe bien davantage dans un espace intermédiaire. Ni dedans ni dehors, ni du côté du joueur ni de celui de l’écran. L’exposition sonde les vertus et les vices du jeu, ses décalages de perception et ses ambiguïtés, faisant de ce dernier un laboratoire pour les formes de la critique et de la clinique. De la guerre jouée au fait de jouer à la guerre, il faut retenir l’idée que ce sont les joueurs qui font les jeux comme « ce sont les regardeurs qui font les tableaux ». Ainsi, est-ce peut-être dans cet espace entre-deux que l’exposition Newwwar trouve sa résolution.